Le projet européen d’autoriser l’incorporation de graisses végétales dans le chocolat met les producteurs de Karité sur le qui-vive.
Depuis des millénaires, les africains préparent le beurre de karité en débarrassant les fruits de leur pulpe par fermentation
Mais la partie est loin d’être gagnée face à la concurrence des huiles industrielles.
Sept pays d’Afrique de l’Ouest produisent et exportent du Karité.
Si pour le Togo et la Côte-d’Ivoire, qui en sont les principaux exportateurs, cette ressource n’en est qu’une parmi d’autres, il n’en va pas de même pour le Mali et le Burkina Faso où le Karité est une activité rurale importante.
C’est également dans ces deux pays que le potentiel de production est la plus importante.
Au Mali, par exemple, on estime que la production pourrait être multipliée par dix pour peu qu’elle soit rationalisée et encouragée.
A l’heure où ces pays cherchent à augmenter leurs exportations, miser sur le karité est tentant.
Le fait que l’Union européenne envisage d’autoriser l’utilisation de graisses végétales autres que le beurre de cacao dans la fabrication du chocolat ne leur a pas échappé et a fait naître chez eux de légitimes espoirs. Ils y voient un nouveau débouché pour leur production.
Pourtant, l’huile de karité risque de se trouver concurrencée par d’autres graisses végétales : huiles de coprah, de soja, de palme, d’arachide et autres, toutes facilement disponibles sur le marché à un prix très compétitif.
Face à cela, le karité souffre d’un fort andicap lié à sa nature.
L’arbre à beurre pousse à l’état spontané en zone sahélienne.
Mais sa culture en plantation est pratiquement impossible du fait des difficultés de reproduction, de transplantation et de greffage.
En outre, l’arbre ne produit des amandes qu’au bout d’une trentaines d’années, de quoi décourager l’investisseur le plus convaincu.
Les quantités de karité récoltées varient d’une année sur l’autre de un à quatre et même un à huit.
La qualité est également très inégale.
Les industriels, en particulier les fabricants de chocolats, qui pourraient l’utiliser comme matière première, se montrent donc très réticents à dépendre d’un produit dont l’approvisionnement en quantité et en qualité ne peut être garanti et dont les prix sont extrêmement fluctuants.
Secret de fabrication
Pour l’heure, les industriels restent très discrets sur les conséquences qu’ils tireront de la future législation européenne.
Ils ne veulent pas remuer le couteau dans la plaie ouverte chez les producteurs de cacao qui redoutent la concurrence des substituts.
La Côte-d’Ivoire qui a pris la tête du mouvement estime la baisse de la demande qui en découlerait à 200 000 t de cacao par an, soit près de 10 % de la production mondiale.
Certains fabricants de chocolat invoquent donc » le secret de fabrication « .
En Suisse qui vient d’autoriser l’utilisation de matières grasses végétales, chez Suchard, l’un des premiers fabricants mondiaux de chocolat, on déclare : » Pour l’instant, nous n’avons pas l’intention de changer nos recettes.
Nous n’envisageons donc pas pour le moment d’utiliser d’autres graisses que le beurre de cacao. » Réponse identique chez Nestlé, numéro un européen de la chocolaterie : » Nous ne toucherons pas à la composition de nos produits existants.
Nous avons construit notre réputation sur la qualité et les consommateurs sont attachés au goût de nos produits.
Pour les produits futurs, nous regarderons quelle huile convient le mieux.
Nous ne pouvons pas en dire plus pour l’instant.
Dans les pays européens où les graisses végétales sont déjà utilisées, comme en Grande-Bretagne, les usines locales de Nestlé n’utilisent pas le beurre de karité.
C’est essentiellement les huiles de palme et de coprah qui servent de substitut au beurre de cacao.
Du côté des chercheurs, on a les plus grands doutes sur les chances futures du karité. » Je pense qu’on assistera à un savant dosage de matières grasses végétales, principalement à base d’huile de palme avec éventuellement un peu de karité « , explique l’un deux.
Denis Despreaux, responsable du programme cacao au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), va plus loin. Il dénonce la campagne menée par certains industriels du chocolat laissant entendre qu’ils utiliseront du karité dans leurs fabrications futures. » Le seule but est de calmer la colère des Africains en leur faisant croire qu’ils vont gagner sur le karité ce qu’ils vont perdre en cacao « , estime-t-il.
Pour lui, » la chance du karité est nulle dans cette affaire » qui est avant tout » une terrible épée de Damoclès brandie au-dessus de la tête des producteurs de cacao : les chocolatiers vont utiliser l’argument des autres graisses végétales qui coûtent beaucoup moins cher pour la faire baisser le prix du beurre de cacao afin qu’il reste compétitif « .
Un argument que Nestlé juge » fallacieux « .
» Si on parvient à réduire les coûts de fabrication du chocolat grâce à des huiles meilleur marché, les pays du Sud qui n’en consomment pas, faute de pouvoir d’achat suffisant, vont se mettre à en manger.
Cela va augmenter la demande mondiale, ce qui va dans le sens de l’intérêt des pays producteurs .
» Au-delà de ce débat, un négociant en graisses végétales qui vend aux chocolatiers des produits de substitution au beurre de cacao est formel quant à l’avenir du karité dans le chocolat : Les industriels disposent maintenant de techniques leur permettant d’utiliser pratiquement n’importe quelle graisse végétale produite industriellement comme les huiles de coprah et de palmiste. Je ne pense pas qu’ils vont s’ennuyer avec l’huile de karité.. »
Pour les pays africains exportateurs de karité, la seule chance de percer le marché de la chocolaterie est, comme l’explique un représentant de l’Union des fabricants suisses de chocolat (Chocosuisse), de proposer leur produit en mettant en avant ses qualités propres.
Ils doivent surtout être en mesure de garantir un approvisionnement en qualité et en quantité constante.
Le ticket d’entrée pour que le karité se fasse une place au soleil dans l’industrie chocolatière mondiale est sans doute lourd à payer.
Mais le jeu en vaut la chandelle pour les pays sahéliens qui n’ont ni pétrole ni cacao à exporter.
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